retour

Procès à « coupure »


M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur, vous exercez les fonctions de directeur de la publication du journal « Coupure » ; depuis quelle date exercez-vous ?


M. SCHUSTER. — Octobre 1969.


M. LE PRÉSIDENT. — A l’époque à laquelle est sorti le numéro un de ce journal trimestriel. Vous avez déclaré devant le Juge d’Instruction que sa parution était irrégulière. Vous avez reproduit des articles qui ont déjà paru dans d’autres journaux.


M. SCHUSTER. — C’est la reproduction d’articles qui ont paru dans « La cause du Peuple »…


M. LE PRÉSIDENT. — …que le Tribunal a eu l’occasion de connaître lors de précédentes audiences. Parution intégrale, vous n’avez pas changé un mot, vous avez simplement fait paraître les articles de « La Cause du Peuple » ?


M. SCHUSTER. — Exactement.


M. LE PRÉSIDENT. — Qu’est-ce que vous avez à dire en ce qui concerne les faits qui vous sont reprochés ?


M. SCHUSTER. — J’ai une déclaration à faire. Je ne suis pas un militant ; la seule autorité que je me connaisse est l’indépendance de ma parole et cette parole s’adresse à ceux que désigne une phrase que j’ai entendue lorsque j’avais 17 ans et que depuis je n’ai jamais oubliée ; je cite cette phrase :

« Il y a encore à cette heure par le monde, dans les lycées, dans les ateliers, dans la rue, dans les séminaire, et dans les casernes des êtres jeunes qui refusent le pli. »

Depuis, c’est à ces êtres jeunes que je m’adresse et c’est avec eux que je prononce le mot « non » au monde tel qu’il est, un « non » qui est un « oui » à la vraie vie, à la vie du désir, de la liberté. Cela s’appelle le surréalisme.

Et je trouve tout à fait plaisant que le Pouvoir m’invite à cette audience au moment où il inaugure de la manière la plus officielle, en la personne de M. Chaban-Delmas, une exposition surréaliste à Bordeaux. La contradiction n’est pas dans le surréalisme mais dans le Pouvoir lui-même dont l’absence de scrupules est exemplaire.

M. Pompidou, par exemple, cite Saint-Just, or qui ne voit M. Pompidou, le 8 Thermidor, sur les bancs de la Convention, sur ces bancs d’où on va envoyer Saint-Just à l’échafaud ; et il en va ainsi d’un certain nombre de mots, d’idées, de concepts qui sont manipulés par la bourgeoisie.

Ainsi par exemple du mot République, eh bien le mot République a perdu tout son sens depuis qu’il a jailli des faubourgs populaires ; c’est au nom de la République qu’a été accompli le 9 thermidor, c’est au nom de la République que Galliffet perpétra la semaine sanglante et aujourd’hui M. Marcellin est le digne successeur de ceux que je viens de nommer. Car n’oublions pas, la France a beau se voiler la face au rappel de ses crimes, si la menace se précise, je veuxdire si la classe ouvrière arrive à se débarrasser des Séguy et des Marchais qui la maintiennent sous la botte de ces exploiteurs capitalistes…


M. LE PRÉSIDENT. — Je vous indique tout de suite, vous êtes prévenu, je vous laisserai parler, Monsieur, à la condition que vous restiez dans les limites permises et vous verrez quelles limites, je vous l’indique, c’est un conseil à prévenu, je le fais toujours, si c’est une attaque contre quiconque vous pouvez vous asseoir, qu’il s’agisse de M. Seguy ou de M. X ou Y, vous m’avez compris, nous avons à juger, n’attaquez personne. C’est simplement un conseil, laissez M. Séguy pour le moment, le Tribunal n’en a que faire, donnez vos explications sur l’affaire.


M. SCHUSTER. — Ma défense m’oblige à attaquer.


M. LE PRÉSIDENT. — Je veux bien que vous attaquiez dans les limites permises, nous ne sommes pas ici sur un débat politique, cela je ne l’admettrai pas ; vous pouvez continuer Monsieur.


M. SCHUSTER. — Je disais que si le peuple descendait dans la rue eh bien M. Marcellin n’hésiterait pas à tirer sur ce peuple comme ses prédécesseurs.

Ceci pour parler de la dévaluation du langage et du mot République ; notamment, n’oublions pas que M. Marcellin se dit républicain, qu’il tient lui aussi son pouvoir légitime de l’émeute qu’il est chargé de réprimer aujourd’hui.

Ceci à mes yeux est une vérité raisonnable.

Je voudrais dire également que l’historien Henri Guillemain rappelait récemment que la bourgeois française n’était pas fasciste et, en effet, on a un peu trop tendance à gauche à brandir cette étiquette de fasciste, mais la bourgeoisie française n’a pas besoin de chercher ces modèles répressifs à l’étranger, elle les trouve dans son propre fonds, chaque politicien français a dans le coeur, si j’ose dire, un petit M. Thiers qui sommeille.

C’est ainsi que depuis Mai 1968 la situation a changé radicalement en France. Jusqu’en Mai 1968, le Pouvoir avait affaire à une opposition respectueuse, à une opposition avec laquelle il parlait le même langage, le même jargon, avec laquelle il jouait les mêmes jeux. En Mai 1968 des forces nouvelles sont apparues sur la scène de l’Histoire, des forces réellement, authentiquement révolutionnaires et, à partir de ce moment-là, la bourgeoisie a eu peur et depuis la bourgeoisie, et son principal, son plus utile complice, le PCF, l’un et l’autre vivent dans la peur de la véritable révolution populaire. De cette angoisse et de cette peur je me réjouis.

A partir de ce changement dans la situation objective en France, on assiste à une transformation du Pouvoir. Tant que le Pouvoir n’était pas attaqué, tant que les institutions aliénantes, les structures du profit, n’étaient pas directement et efficacement attaquées, le Pouvoir pouvait arborer le masque du libéralisme, les libertés individuelles étaient à peu près totales ; mais dés l’instant où il existe une force réelle qui menace sérieusement ce pouvoir des privilèges, ce pouvoir de la hiérarchie, alors on jette le masque du libéralisme et on devient insensiblement un réigme autoritaire.

Il y a donc depuis 1968, à mes yeux, une dégradation de toutes les structures, de tous les rouages de l’État. L’État est d’une faiblesse incomparable et comme toujours dans ces situations quand on est faible, on montre le poing, on montre les dents pour se faire croire fort.

Toutes les structures de l’État : l’Université est dans un délabrement total, seuls quelques mandarins croient encore à son existence, ils mourront sans avoir rien compris.

Si, pour ma part, j’avais dit le quart du dixème de ce qu’a dit M. Tomasini sur la magistrature, je serais convaincu de tous les outrages ; M. Tomasini reste quand même secrétaire général du parti UDR qui dans le régime que nous vivons est un parti unique…


M. LE PRÉSIDENT. — Laissez ceci, nous ne faisons pas de politique ici.


M. SCHUSTER. — Les textes que j’ai publiés, ce sont des textes politiques.

Dans les situations de ce genre, quand un Etat est d’une faiblesse incroyable, il y a un événement qui se reproduit fréquemment ; en Amérique du Sud, par exemple, c’est l’armée qui menace de prendre le pouvoir, qui le prend quelquefois à la faveur d’un coup d’état, en France la situation est différente ; l’armée ne représente pas une force réelle ; alors qu’est-ce qui se passe ? eh bien, c’est la police, la police est devenue progressivement depuis Mai 1968 toute puissante. Nous allons vers un régime où sa puissance sera encore plus grande si les démocrates ne s’unissent pas pour dénoncer ce péril.

Je voudrais citer, si le Tribunal le permet, deux exemples :

Il y a un fait assez curieux, c’est que jusqu’au règne du Ministre actuel de l’Intérieur, les policiers faisaient un métier dont ils avaient conscience que c’était un métier méprisé parce que méprisable ; or depuis M. Marcellin, on assiste à une chose assez singulière, c’est que les policiers revendiquent l’estime, l’amitié, la compréhension, l’amour de la population.

Je dis que c’est tout à fait nouveau, pourquoi ? parce que l’opprobe dans lequel est tenue la police ne date pas d’aujourd’hui.

Pourquoi ? parce que si l’on fait le détail des fonctions habituelles du métier de policier, on constate la chose suivante :

La délation c’est une chose abjecte, selon toutes les morales du monde ; matraquer des individus désarmés, c’est une chose abjecte selon toutes les morales du monde ; arracher des aveux par la torture, c’est une chose abjecte selon toutes les morales du monde ; servir un régime d’abord libéral, ensuite autoritaire puis à nouveau libéral, comme le font l’immense majorité des policiers, c’est une chose abjecte selon toutes les consciences du monde ; et encore une fois, naguère les policiers avaient ce minimum de conscience qui ne les autorisait pas à se plaindre d’être mal aimés ; cette mésestime dans laquelle le corps de police est tenu est prouvée abondamment, ne serait-ce que par le langage populaire : on dit couramment d’une manière toujours rigoureusement péjorative, une tâche policière, une besogne policière, un esprit policier, un style policier.

Le Grand Larousse du XIXe siècle dit au mot « policier » :

« se prend toujours en mauvaise part » et dans le Littré on lit « terme familier et de dénigrement ».

A tel point que ce ne sont pas seulement les révolutionnaires qui tiennent en mépris la police mais même l’armée. A la fin du siècle dernier lorsqu’il a fallu réprimer les grèves des houillères du Nord, Clemenceau ordonna que la troupe soit envoyée contre les grévistes, eh bien, il y a eu des officiers pour s’indigner par lettre à Clemenceau, qu’on les chargeât d’une besogne policière. Et plus récemment, durant la guerre d’Algérie, un certain nombre d’officiers ont démissionné de l’armée pour ne pas être obligés de pratiquer la torture, qualifiée par eux de tâche policière.

Si je me place du côté des écrivains :

Gustave Flaubert, insulter de la Commune, dit dans son dictionnaire des idées reçues, au mot « police » : « a toujours tort ». Qu’est-ce que cela signifie ? cela signifie que le sentiment général, à l’époque de Flaubert, était anti-policier. Et voici, Messieurs, pour une fois une idée reçue qui n’était pas nécessairement fausse.

Il y a mieux ; — vous noterez que je ne choisis pas mes exemples parmi les écrivains révolutionnaires, du Marquis de Sade à André Breton, je choisis mes exemples parmi les écrivains qui sont admis comme l’honneur et le prestige de la France.

Chateaubriand écrit : « La police par sa nature est antipathique à toute liberté ».

Quant à Victor Hugo, on sait qu’il a dessiné le prototype du policier Javert, qu’il ne désigne jamais autrement que par le terme péjoratif de mouchard et Baudelaire à propos de Javert disait : « l’ennemi absolu ».

En ce qui concerne Alfred Jarry, il pourrait peut-être être à côté de moi comme inculpé, j’ai reproduit un article de lui de 1903, dans lequel il invite la population à recevoir les agents des mœurs à coup de révolver. Que je sache, en 1903, Jarry n’a pas été traîné sur les bancs des tribunaux, pourtant il y avait incitation au meurtre.

Quand ce même numéro de « Coupure », vous avez un exemple de ce que les caricaturistes de l’époque faisaient : « l’Assiette au beurre », « le Canard Sauvage », ce qu’ils pensaient de la police. J’ai reproduit une illustration de 1903 dans « le Canard Sauvage » ; on voit un certain nombre de policiers en uniforme qui ressemblent à ceux d’aujourd’hui avec cette légende :

« ces mines patibulaires qu’on ne voit sortir que les jours de troubles et d’émeutes ».

Voici ce que l’on pensait de la police au XIXe siècle et au début du XXe.

J’en finirai avec ces citations en citant un écrivain contemporain qui a été Ministre de la Ve République, M. André Malraux ; M. André Malraux dans une préface dit que la police n’est bonne à rien, qu’elle ne faut que par ses indicateurs c’est-à-dire par un chantage permanent exercé sur une partie de la pègre.

J’ai parlé de deux faits, voici le deuxième fait.

Le 18 juin dernier, à la télévision, il y a eu un spectacle extraordinaire et de la plus haute gravité, plus grave, à mon sens, que tout ce qui peut se passer de grave adns les cars et dans les commissariats, événements sur lesquels j’ai l’élégance de ne pas insister ; il y a eu à la télévision sur la première chaîne, à 21 h, et ce détail a son importance car on estime qu’à ce moment il y a entre 10 et 15 millions de téléspectateurs, il y a eu une émission, un débat dont le sujet était le malaise de la police, les rapports de la police avec la population et la presse.

Ce débat, j’insiste sur le fait qu’il était diffusé à une heure de grande écoute, ce débat m’inspire cinq remarques que je vais me permettre de développer.

Il mettait aux prises quatre hauts fonctionnaires de la police et cinq journalistes ; aucun journaliste de la presse révolutionnaire n’y était convié, il y avait, au contraire, trois journalistes totalement complices du pouvoir et deux journalistes libéraux.


M. LE PRÉSIDENT. — Je ne vois pas où vous voulez en venir, pour ceux qui n’ont pas vu cette émission, je suis de deux là, vous allez nous donner quelques éclaircissements, si c’est un jugement que vous portez sur la police ou l’ORTF… je vais voir…


Me LECLERC. — Il est poursuivi comme journaliste, il parle de journalistes parlant à des policiers.


M. SCHUSTER. — Il n’y avait que trois journalistes complices du pouvoir, deux journalistes de feuilles à grand tirage, un journaliste de « la Nation », quotidien dont le Tribunal a peut-être entendu parler, qui ne tire pas plus d’exemplaires que « Coupure », mais moi je n’étais pas invité à ce débat.

Par conséquent, ce débat opposait quatre policiers à cinq journalistes et ma première remarque insiste sur le fait qu’aucun représentant de la presse révolutionnaire ni même de gauche, n’était convié.

La deuxième observation : la parole a été donnée à M. André Guérin de l’Aurore ; à peine celui-ci a-t-il prononcé une phrase, qu’un des policiers avec une arrogance et une grossièreté incroyables lui coupe cette parole et à partir de là les dés sont jetés, les jeux sont faits, les quatre policiers ont eu la parole continuellement, les journalistes complices n’intervenant que pour relancer la balle, les deux autres journalistes totalement intimidés et paralysés, si bien que l’on a assisté pendant 75 minutes à un panégyrique de la police, une véritable émission de propagande.

Ceci est ma deuxième remarque.

Ma troisième remarque est la suivante : aucun journaliste, étant donné leur situation, n’a osé poser de questions véritablement cruciales, il a fallu que ce soit un policier qui, dans un moment d’inattention, prononce cette phrase que je cite textuellement : « mais il n’y a pas que des matraquages dans les commissariats ».

N’est-ce pas joli ! A ce moment là un journaliste qui aurait fait son métier aurait pu dire : ah, mais, Monsieur, c’est donc qu’il y a des matraquages ! Pas du tout, ceci est passé dans une indifférence, un silence total.

Ma quatrième remarque est la suivante : j’ai dit que le Pouvoir était amené à violer sa propre légalité dans l’escalade qu’il accomplit contre les libertés individuelles, eh bien la preuve patente a été donnée ce soir là, devant 10 millions de téléspectateurs, que les auxiliaires du pouvoir, en l’occurrence les policiers, violaient ouvertement et sans vergogne la légalité, voici comment :

Premièrement, un des policiers en question, commence une phrase par les mots suivants, et je cite textuellement :

« certes, je ne dois pas violer le secret de l’instruction mais… » et moyennant quoi il enchaîne et viole allègrement le secret de l’instruction, publiquement, devant 10 millions de téléspectateurs, ce qui a valu, à propos de l’affaire Jaubert, une plainte de M. Jaubert, qui sera instruite peut-être prochainement.

Deuxièmement, un autre policier, à propos de l’affaire du commissaire Lacroix à Lyon, commence dans le même style maison la phrase par ces mots :

« Je ne reviendrai pas sur la chose jugée mais… » moyennant quoi on revient allègrement sur la chose jugée, en, diffamant et calomniant un des témoins de cette affaire.

Voici donc deux faits précis et je suppose qu’il y a des moyens d’en faire la preuve, qu’on a conservé les minutes de cette émission et voici deux policiers, qui devant le public français, violent leur propre légalité.


M. LE PRÉSIDENT. — Vous reprenez des faits d’il y a 15 jours et vous êtes poursuivi pour des faits de juin 1970.


M. SCHUSTER. — Je m’étonne que le pouvoir me poursuive un an après.


Me LECLERC. — Ce n’est pas un hasard si l’affaire a mis un an…


M. SCHUSTER. — Voici la cinquième et dernière remarque et j’en aurai terminé.

Ce genre d’émission est suivie après d’un débat, on interroge les téléspectateurs, on leur demande de poser des questions et tout naturellement, ce qui prouve le bien-fondé de l’hypothèse que j’avance quant au nombre important d’audidteur de cette émission, il y a des masses de questions qui sont posées. Comme on sélectionne les questions, elles ne peuvent pas toutes être posées, on fait passer à l’antenne celles qui reviennent le plus fréquemment.

Eh bien, le lendemain, « Le Monde » notait, je cite : « que 200 fiches par une curieuse coïncidence contenaient dans les mêmes termes la même question : pourquoi la presse ouvre-t-elle ses colonnes aux ennemis de la liberté ».

C’est tout de même assez étrange.

Ces cinq remarques sur cette curieuse émission de télévision m’invitent à penser qu’il y a dans les services de M. Marcellin, un fonctionnaire hautement au courant des méthodes de la propagande, qui a admirablement préparé cette émission, qui a suivi de très près son déroulement et je dis et c’est un avertissement solennel à tous les démocrates que c’est très grave parce que Hitler est venu au pouvoir grâce au docteur Goebbels.


M. LE PRÉSIDENT. — Sur ce point là encore, vous avez été très vite, laissez la politique de côté, en ce qui concerne cette émission, je ne sais pas pourquoi…


M. SCHUSTER. — Elle est symptomatique du régime dans lequel nous vivons, un régime dans lequel le cancer policier accomplit des ravages de jour en jour.

Je vous remercie de m’avoir autorisé à développer tous ces points.

Tout ce que j’ai dit ce sont les causes générales.


M. LE PRÉSIDENT. — Le Tribunal verra ce qu’il peut faire avec cette émission de télévision.


M. SCHUSTER. — C’est le fondement de la situation actuelle.


M. LE PRÉSIDENT. — C’est tout simplement une conférence que vous venez de nous faire sur une émission de télévision d’un soir d’il y a 15 jours.

Je ne dis pas que vous avez perdu votre etmps et fait perdre du temps au Tribunal, il faut que vous reveniez à l’affaire qui nous intéresse, les articles parus.

Dans quelles conditions les avez vous reproduits et pourquoi ?


M. SCHUSTER. — J’en viens donc aux causes directes qui m’ont conduit à reproduire ces articles de « la Cause du Peuple ».

« La Cause du Peuple » ayant été saisie à plusieurs reprises, nous avons estimé, mes amis et moi, qu’il était nécessaire d’informer un certain nombre de personnes, notamment à l’étranger, où nous avons un réseau de 2 000 correspondants, professeurs de faculté, d’université, nous avons estimé qu’il était utile de mettre sous les yeux de ces professeurs enseignant dans des facultés étrangères, l’état objectif de la liberté d’expression en France. C’est pourquoi nous avons reproduit un certain nombre d’articles de « la Cause du Peuple » qui ont valu des poursuites et un an et 8 mois d’emprisonnement à Le Dantec et à Le Bris, c’est pour informer objectivement, vous noterez qu’il n’y a aucun commentaire, nos correspondants à l’étranger, des universitaires américains, anglais, allemands, espagnols, de l’état et de la liberté d’expression en France. Ils avaient ainsi sous les yeux les articles incriminés et les raisons pour lesquelles ils ont été poursuivis en justice.

Ceci est la première raison.

La deuxième raison, c’est que nous avons estimé que la presse de gauche et la presse libérales ne faisaient pas leur métier. Il y a eu un précédent au Danemark, à peu près à la même époque, un journal gauchiste, une petite feuille gauchiste, a été inculpée et poursuivie et le lendemain un grand quotidien de Copenhague a reproduit systématiquement les articles qui ont valu ces poursuites, et les poursuites ont été suspendues.

Actuellement, il se passe une chose analogue aux Etats-Unis ; deux quotidiens importants ont publié le rapport secret Mac Namara, ce qui leur a valu des poursuites de la part du Ministre de la Justice. Que s’est-il passé ? La presse américaine est aussi bourgeoise que la presse française, elle est un peu moins veule, immédiatement le lendemain des poursuites contre « le Washington Post » et l’autre quotidien, deux journaux publiaient à nouveau ce rapport en sachant qu’ils tombaient sous le coup d’une décision du Ministre de la Justice et ils étaient poursuivis.

Ceci c’est la manière de mettre en échec la machine répressive ; aujourd’hui onze quotidiens ont publiés ce rapport en sachant qu’il fait l’objet de poursuites.

En France on n’en est pas là et je dis : si tous les quotidiens et hebdomadaires libéraux français au lieu d’avoir versé des larmes de crocodiles sur les atteintes à la liberté d’expression, parce que cela a été fait, les poursuites ont été contestées, je dis qu’il y avait une manière très simple de bloquer cette machine répressive, tout simplement de reproduire, comme je l’ai fait, les articles qui ont valu les condamnations à Le Dantec et à Le Bris. Aujourd’hui l’état de la presse est tel que si Zola voulait publier sa fameuse lettre « J’accuse » il ne trouverait aucun journal pour la publier.

La troisième raison, eh bien c’est que j’ai en commun avec Le Dantec et Le Bris l’absence de notoriété, j’ai en commun avec Jean-Paul Sartre l’absence de responsabilité dans les organisations révolutionnaires, je voulais savoir, et c’est ce que j’ai dit aux officiers de la police qui m’ont interrogé, je voulais savoir comment le pouvoir me traiterait. Un événement nouveau est survenu : à la demande de « Minute », M. Marcellin est M. Pléven ont inculpé Jean-Paul Sartre…


M. LE PRÉSIDENT. — Laissez « Minute » de côté, je vous l’indique, vous nous le dites mais on n’est pas obligé de vous croire.

Il y a des mots de trop, je suis très généreux et vous êtes suffisamment intelligent pour prendre la parole seul vous venez de voir qu’il y a une parole de trop.


M. SCHUSTER. — Je voulais simplement dire que ma situation particulière par rapport à Le Bris et Le Dantec et par rapport à Jean-Paul Sartre me fait attendre votre verdict avec curiosité.


M. LE PRÉSIDENT. — Monsieur, asseyez-vous, ici il n’y a pas de curiosité.